Sommes-nous en train de devenir indifférents à la question de la vérité ? C'est en tout cas ce que redoute la philosophe Laurence Devillairs, interviewée récemment par notre consœur Anne-Laure Filhol (1). Elle n'est pas seule de cet avis : son confrère François Noudelmann estime, lui, que cette indifférence nouvelle caractérise la post-vérité. "La notion de post-vérité, écrit-il, désigne une situation dans laquelle les faits objectifs importent moins que les émotions et les croyances personnelles."(2)
Ce qui, au fond, arrange bien du monde : car les faits sont têtus, robustes et vérifiables. Il est difficile de les tordre. A terme, moyennant des enquêtes sérieuses, leur vérité apparaît toujours, supplantant les mensonges : "truth will out", disent nos amis Anglais. Inversement la plasticité des émotions et le caractère gazeux des croyances permettent de diriger plus aisément les esprits.
Et c'est ainsi qu'au pays des foutaises (infox, hoax, fake-news...), le populisme monte sur le trône.
Dans son coin, privée de l'oxygène de la vérité, la démocratie à laquelle nous sommes attachés, nécessairement informée, réfléchie et policée, perd souffle. "Seuls les peuples informés peuvent faire des choix libres", vient justement de rappeler Leon XIV aux professionnels de la communication. En ajoutant ceci, qui est capital : "la communication n'est pas seulement la transmission d'informations, mais aussi la création d'une culture [...]" (3).
Alors, culture de l'émotion qui touche, de l'opinion satisfaisante parce que fabriquée tout exprès à notre mesure individuelle par des algorithmes, ou culture du dialogue et de la confrontation ? Humanité en débat ou humanité en (minuscules) morceaux ?
Poser cette question, c'est montrer que nous avons encore le choix. Que la situation de post-vérité, grave évidemment, n'est pas sans remède. Résister au mal passe toujours par une analyse minutieuse des phénomènes qui y conduisent. Mais comme ces derniers sont aujourd’hui indissociables des technologies qui les génèrent, il nous faut aborder ces technologies. Chercher à comprendre leur fonctionnement. Se rappeler aussi qu'un outil, pour puissant et fascinant qu'il soit, est neutre. "Je pense en particulier à l'intelligence artificielle, avec son immense potentiel, qui exige toutefois responsabilité et discernement pour orienter les outils vers le bien de tous" (4), dit le nouveau Pape. Cette bonne orientation n'est pas hors de portée. Beaucoup y travaillent déjà, souvent dans l’ombre. Ils nous permettent d’espérer. L'Université des lecteurs, à Vogüé, les mettra en lumière cet automne. Et je n'y vois pas de meilleure introduction que le hors-série La Vie/Le Monde qui s'intitule "La fabrique de l'opinion". Il vient de sortir. Je vous en souhaite une fructueuse lecture !
Julien Motte, Directeur des Amis de La Vie
- In « La fabrique de l’opinion », HS La Vie/Le Monde, mai 2025
- In revue « Humanisme », février 2025
- Rencontre du 12 V 2025 avec les professionnels de la communication
- Idem note 3